Affichage des articles dont le libellé est Pères du désert. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Pères du désert. Afficher tous les articles

lundi 10 septembre 2007

Lectures de vacances (IIb)



Après la Thébaïde d'Egypte la Thébaïde française, je veux parler de Port Royal, bien sûr! Les Solitaires de Port Royal! De proche en proche vous dis-je, j'étais entrain de lire le livre de Jacques Lacarrière sur Les hommes ivres de Dieu, lorsque mon regard fut attiré, je ne me souviens plus très bien ou, ah si dans l'une des librairies pour voyageurs pressés de la Gare de Lyon. Je sortais d'une journée de fouille dans les archives pour mon boulot, trois heures de TGV m'attendait, j'ai acheté Le Désert de la grâce de Claude Pujade-Renaud. Vous connaissez? Moi non, pourtant ce n'est pas son premier roman, loin sans faut. Presque tout chez Actes Sud, une maison d'édition que j'apprécie généralement. Cette fois c'est la rentrée littéraire et il est bien placé dans les kiosques de gares... Je lis la quatrième de couverture,

une histoire de Port Royal sous forme de roman et par les femmes, il ne m'en faut guère plus pour acheter.

Port Royal , en lisant Lacarrière j'étais déjà en chemin... non, vous ne voyez pas pourquoi ? mais ce sont les plus belles traductions françaises que nous ayons de toutes ces vies de saints plus ou moins syphonés qui vivaient dans les déserts, sur des colonnes... ou encore à deux dans une même cellule ! Lacarrière, c'est là un des aspects sympas de son livre, prend soin de nous indiquer ses sources et signale son choix d'utilisé les traductions d'Arnaud d'Andilly... En fait, il y a un peu plus d'un an, je suis allé passer une après midi dans le vallon des Champs. Je logeais en vallée de Chevreuse chez des amis, un autre ami, fan du français de Port Royal m'en avait trop parler ces dernières années pour que je résiste à la tentation. J'ai découvert le lieu dit "Les Ecoles", musée national, s'il vous plait, et le travail acharné de ces érudits en retrait de la cour de Versailles, l'énorme effort de traduction fait dans le sens d'un retour aux sources du Christianisme. Voilà qui éloignait le spectre du Pari de Pascal qui me restait du Baccalauréat blanc et la sévérité du Jansénisme sur lequel j'étais resté. J'en découvrais un autre aspect.

Alors ce roman ? En fait, vous l'avez compris, je suis très flemmard, je n'aime pas lire les travaux d'érudition alors lorsque je trouve un roman, un essai, un film qui présente les choses de manière agréable, tout en ayant une certaine exigence intellectuelle, je prends mon pied. Là, c'est un siècle d'histoire de Port Royal par acteurs interposés qui se déroule devant vous. Mieux, qui vous permet d'entrer dans le vécu de Port Royal. C'est la grandeur de la fiction lorsqu'elle y réussit - vous rendre contemporain de ces gens-là, vous permettre de voir par leurs yeux, de ressentir l'histoire telle qu'elle pesait sur eux - oh bien sûr, il s'agit toujours d'un parti pris de l'artiste et il ne s'agit pas de s'imaginer qu'on y est vraiment, il n'empêche qu'au détour d'une phrase, vous vous dites que l'auteur a saisit quelque chose de l'époque, cela vient comme confirmer une pierre d'attente dans votre propre monde historiographique intérieur - si vous êtes ainsi construit, bien sûr ! Un exemple anecdotique: l'auteur soudain fait parler l'une des femmes d'imprimeurs qui ont publié "Les Provinciales" sous le manteau, une descente de police et la voilà cachant les plombs de la deuxième lettre sous ses jupon: Au détour d'une phrase, c'est un monde entier qui surgit, un métier, ses codes, ses points d'honneur ... nous sommes en 1656, cent trente ans avant la Révolution française, lorsque Descartes et autres philosophes allaient se faire imprimer en Hollande, ou en Suisse, lorsque toujours ou presque l'on dédiait son oeuvre à un puissant pour qu'il vous protège... "Mais de mon père, le grand libraire Camusat, je tenais ce principe : toujours sauver les textes, avant tout !" ... j'en frémis dans les entrailles!

Le livre lui-même est un peu décousu, du moins au début. Puisque son principe est de faire parler les acteurs, l'on saute parfois quelques dizaines d'années en avant, en arrière et ce n'est pas toujours facile de reconstruire la mosaïque, pas toujours facile à suivre. Le fil conducteur est assuré par un médecin, Claude Dodart, lui-même fils du médecin des moniales et des Solitaires, et une certaine Françoise de Joncoux qui passe son temps à recopier en secret les textes. On est dans l'après, tout est fini, les dernières moniales ont été dispersées, on a même, exhumé les corps, sur ordre du Roi (Louis, le quatorzième) mais les proches sont toujours en lien les uns avec les autres, se connaissent, s'entraident, espèrent que quelque chose survivra de tout cela. On cherche un livre aussi, une histoire de Port Royal écrite par le grand Jean Racine et qui a disparue. En fait, la véritable héroïne du roman, c'est sa fille, en recherche de la véritable identité de son père, en recherche d'elle-même au fond. Vie ascétique - vie dans le siècle ? Ou se situe le véritable amour ? Est-ce toujours aussi évident de choisir entre la vie spirituelle de Port Royal des Champs et les fastes de Versailles ? Mais au-delà des fastes de la cour, les idéologies, il y a des questions simples et existencielles sur ce que l'on transmet à ses enfants, sur l'éducation et l'on découvre des aspects bien peu connus de cette grande aventure... en tout cas de moi.

jeudi 6 septembre 2007

Lectures de vacances (II)

Décidément j'aime lire de proche en proche. J'ai commencé, cette fois, par un livre de poche de la collection Points sagesses du Seuil: Les hommes ivres de Dieu de Jacques Lacarrière. Ce n'est pas un livre récent, loin de là; sa première parution, illustrée, remonte à 1961 chez Arthaud. Dans le livre de poche que j'ai en main, une nouvelle préface date de 1974 qui nous raconte un peu de la genèse du livre. L'auteur, un baroudeur qui a quitté l'université pour découvrir le monde dans les années 1950, s'est trouvé un soir au Mont Athos a dîner aux chandelles à la grande laure lorsqu'il eu l'impression qu'un monde entier sortait de l'ombre; images mouvantes et ténues des figures de saints représentés sur les fresques du réfectoire qui se mirent à danser pour lui. Il partit à la recherche de ce monde là. Plus tard il visita leurs lieux d'origine, la thébaïde, le désert de Sceté, la Syrie.

Ce qui m'a attiré dans le magasin, c'est la parenté que j'ai ressenti avec l'auteur dans la quête qui m'a amené à venir vivre en Israël, l'essai de mise en mots d'une méditation à la fois existentielle et érudite. Egalement la dimension anthropologique, d'avant l'heure, qui tranche avec les études "religieuses" sur le sujet. Ainsi, dans toute la première partie, l'auteur s'interroge-t-il sur la transformation relativement rapide de la société égyptienne aux premiers siècles de l'ère chrétienne, alors que cette société avait jusque là conserver ses croyances malgré la colonisation grecque. Avec le Christianisme et les pères du désert, ce ne sont pas seulement les élites qui sont touchées mais les couches profondes paysannes de la population. C'est le genre de grande question massive qui me guide dans ma méditation sur le Judaïsme et son rapport au Christianisme en vivant ici, cherchant les réponses dans des données historiques, sociétales ou culturelles plus que dans des explications théologiques. Ainsi les théologiens chrétiens qui ne font quasiment que référence aux systèmes philosophiques sans prendre en compte un fait aussi massif que la Shoah dans l'appréhension contemporaine du dogme christologique. Ou le fait que le Judaïsme n'a pas développé de textualité scientifique/philosophique avant le IXème siècle de l'ère commune, pour ne citer que deux exemples. Il y a dans le livre de Jacques Lacarrière un va et vient avec les interrogations présentes tout en méditant ce phénomène étrange des hommes à l'ascétisme le plus extrème... L'auteur est connu pour d'autres livres, pour sa faconde et sa poésie.
Je ne vais pas vous ennuyer avec une analyse du livre mais plutôt relevé une anecdote. Vous savez que j'aime les pères du désert et que, intrigué par ces "deux frères habitaient une même cellule" que l'on y rencontre parfois, je me tiens à l'affut, l'oreille flotante. Voici donc l'histoire qui y est rapporté à la page 135 à propos d'une excursion que fit Makaire dans une île d'un lac dans le désert avoisinant Scété:


Il regarda et voici: il y avait deux hommes dont la chair était devenue noire et avait été rendue grossière par l'air, dont les cheveux et les ongles étaient devenus grands : leur forme était si changée que lorsque Makaire les eut vus, il fut effrayé et se dit : Ce sont des esprits ! Mais eux, lorsqu'ils le virent si effrayé qu'il était sur le point de tomber à terre, ils l'appelèrent au nom du Seigneur. Alors, Makaire s'approcha d'eux, les toucha pour voir si, quand même, ce n'étaient pas des esprits et quand il vit que c'étaient bien des hommes, les adora.


Bon, prenons note : deux hommes vivaient sur une même île... quelque part sur un lac dans le désert... la situation est pour le moins étrange comme leur apparence après de si longues années... je ne m'embarquerais pas pour lire entre les lignes le fait que Makaire est effrayé à leur vue dans un premier temps. Non, ce qui a retenu mon attention c'est le commentaire de Jacques Lacarrière et la dissonance si évidente. Je cite:




Makaire l'Ancien venait de découvrir dans cette île inconnue de tous cet homme parfait qu'il rêvait lui-même de devenir, dont il entretenait ses disciples, celui qui a su "fuir les hommes", qui a trouvé l'hésychia (la paix du coeur) et qui est devenu "semblable à une pierre".


N'entrons pas dans la spiritualité du désert qui vient à jour ici, ce qui frappe c'est que "Cet homme idéal" sont en fait "deux hommes vivaient sur une même île"... l'idéal de Makaire serait-il deux hommes ou Lacarrière est-il si aveugle à la chose, si sourd, si préoccuper par son idée qu'il ne peut imaginer deux hommes vivant sur une même île et le met directement au singulier sans s'en rendre compte... ?
Dans un prochain post, je repartirais sur un roman de la rentrée et les conférences d'un prof de Jérusalem au Collège de France en 2004, mais si mais si, vous verez, j'avance de proche en proche!

lundi 2 mai 2005

Deux frères vivaient dans la même cellule...

Deux frères vivaient dans la même cellule depuis de nombreuses années en parfaite concorde. Un jour l'un d'eux dit:
- Si nous nous disputions un peu comme tout le monde?
- Mais je ne sais pas comment on fait pour se disputer... répondit l'autre.
- Voici: je mets une brique entre toi et moi, puis je dis: "elle est à moi". Et toi tu réponds: "Non; elle n'est pas à toi, elle est à moi." Les querelles commencent toujours ainsi.
Ils mirent donc une brique entre eux et le premier dit:
- Elle est à moi.
Mais le second réplique:
- Si elle est à toi, prends-la et va-t-en en paix.
Et ils ne réussirent pas à se disputer...
(Bons mots & facéties des Pères du désert, p. 45)

Deux frères vivaient dans la même cellule depuis de nombreuses années... C'est donc que c'était possible ... sans que le préfet du conseil pontifical pour la famille intervienne...