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jeudi 6 septembre 2007

Lectures de vacances (II)

Décidément j'aime lire de proche en proche. J'ai commencé, cette fois, par un livre de poche de la collection Points sagesses du Seuil: Les hommes ivres de Dieu de Jacques Lacarrière. Ce n'est pas un livre récent, loin de là; sa première parution, illustrée, remonte à 1961 chez Arthaud. Dans le livre de poche que j'ai en main, une nouvelle préface date de 1974 qui nous raconte un peu de la genèse du livre. L'auteur, un baroudeur qui a quitté l'université pour découvrir le monde dans les années 1950, s'est trouvé un soir au Mont Athos a dîner aux chandelles à la grande laure lorsqu'il eu l'impression qu'un monde entier sortait de l'ombre; images mouvantes et ténues des figures de saints représentés sur les fresques du réfectoire qui se mirent à danser pour lui. Il partit à la recherche de ce monde là. Plus tard il visita leurs lieux d'origine, la thébaïde, le désert de Sceté, la Syrie.

Ce qui m'a attiré dans le magasin, c'est la parenté que j'ai ressenti avec l'auteur dans la quête qui m'a amené à venir vivre en Israël, l'essai de mise en mots d'une méditation à la fois existentielle et érudite. Egalement la dimension anthropologique, d'avant l'heure, qui tranche avec les études "religieuses" sur le sujet. Ainsi, dans toute la première partie, l'auteur s'interroge-t-il sur la transformation relativement rapide de la société égyptienne aux premiers siècles de l'ère chrétienne, alors que cette société avait jusque là conserver ses croyances malgré la colonisation grecque. Avec le Christianisme et les pères du désert, ce ne sont pas seulement les élites qui sont touchées mais les couches profondes paysannes de la population. C'est le genre de grande question massive qui me guide dans ma méditation sur le Judaïsme et son rapport au Christianisme en vivant ici, cherchant les réponses dans des données historiques, sociétales ou culturelles plus que dans des explications théologiques. Ainsi les théologiens chrétiens qui ne font quasiment que référence aux systèmes philosophiques sans prendre en compte un fait aussi massif que la Shoah dans l'appréhension contemporaine du dogme christologique. Ou le fait que le Judaïsme n'a pas développé de textualité scientifique/philosophique avant le IXème siècle de l'ère commune, pour ne citer que deux exemples. Il y a dans le livre de Jacques Lacarrière un va et vient avec les interrogations présentes tout en méditant ce phénomène étrange des hommes à l'ascétisme le plus extrème... L'auteur est connu pour d'autres livres, pour sa faconde et sa poésie.
Je ne vais pas vous ennuyer avec une analyse du livre mais plutôt relevé une anecdote. Vous savez que j'aime les pères du désert et que, intrigué par ces "deux frères habitaient une même cellule" que l'on y rencontre parfois, je me tiens à l'affut, l'oreille flotante. Voici donc l'histoire qui y est rapporté à la page 135 à propos d'une excursion que fit Makaire dans une île d'un lac dans le désert avoisinant Scété:


Il regarda et voici: il y avait deux hommes dont la chair était devenue noire et avait été rendue grossière par l'air, dont les cheveux et les ongles étaient devenus grands : leur forme était si changée que lorsque Makaire les eut vus, il fut effrayé et se dit : Ce sont des esprits ! Mais eux, lorsqu'ils le virent si effrayé qu'il était sur le point de tomber à terre, ils l'appelèrent au nom du Seigneur. Alors, Makaire s'approcha d'eux, les toucha pour voir si, quand même, ce n'étaient pas des esprits et quand il vit que c'étaient bien des hommes, les adora.


Bon, prenons note : deux hommes vivaient sur une même île... quelque part sur un lac dans le désert... la situation est pour le moins étrange comme leur apparence après de si longues années... je ne m'embarquerais pas pour lire entre les lignes le fait que Makaire est effrayé à leur vue dans un premier temps. Non, ce qui a retenu mon attention c'est le commentaire de Jacques Lacarrière et la dissonance si évidente. Je cite:




Makaire l'Ancien venait de découvrir dans cette île inconnue de tous cet homme parfait qu'il rêvait lui-même de devenir, dont il entretenait ses disciples, celui qui a su "fuir les hommes", qui a trouvé l'hésychia (la paix du coeur) et qui est devenu "semblable à une pierre".


N'entrons pas dans la spiritualité du désert qui vient à jour ici, ce qui frappe c'est que "Cet homme idéal" sont en fait "deux hommes vivaient sur une même île"... l'idéal de Makaire serait-il deux hommes ou Lacarrière est-il si aveugle à la chose, si sourd, si préoccuper par son idée qu'il ne peut imaginer deux hommes vivant sur une même île et le met directement au singulier sans s'en rendre compte... ?
Dans un prochain post, je repartirais sur un roman de la rentrée et les conférences d'un prof de Jérusalem au Collège de France en 2004, mais si mais si, vous verez, j'avance de proche en proche!

mardi 4 septembre 2007

De quelques lectures...


De retour de vacances, un premier post sur mes lectures.

Parfois, je lis de proche en proche. Ainsi, cet été j'ai avisé un livre d'Hector Bianciotti dans un panier de solde. Or, j'avais noté il y a quelques mois la sortie des Lettres à un ami prêtre, du même auteur et de Benoît Lobet. J'étais dans un aéroport, trop chargé comme toujours, je n'avais pas acheté bien que je me suis toujours senti spirituellement très proche de Benoît Lobet... Ami d'un ami, autrefois, lorsque je vivais en communauté en France, il était séminariste et faisait partie du mouvement des focolarini, cet ami avait écrit une chanson après leur rencontre: "Tu cours après un rêve et tu oublies d'aimer, lorsque la nuit s'achève tu es désabusé... cours plutôt, à la vie mon ami, cours plutôt..." Et puis, quelques années plus tard, il avait publié un essai sur Marie Noël, qui est ... le poête de ma table de chevet: "Mon Dieu, je ne vous aime pas", Foi et spiritualité chez Marie Noël. Essai que j'avais énormément apprécié, dans lequel il se livre beaucoup.

Bianciotti, j'en ai entendu parlé la première fois par celui que j'appelle "mon évêque". C'était au moment du Goncourt, mais je ne l'avais jamais lu. Et puis voilà, ce sont les vacances, je flane dans la rue et je fouine comme toujours les bouquinistes et je tombe sur Ce que la nuit raconte au jour dans une ancienne édition brochée pour un ou deux euros, c'est l'occasion, j'achète cette fois.

Récit autobiographique sur l'Argentine natale de l'auteur, je suis surpris par la qualité de l'écriture. Pourtant je me sens aussi quelque peu agacé par une sorte de sensualité ambigue qui me rappelle les récits autobiographiques de Julien Green. Et puis un détail m'intéresse: le récit de cette "amitié particulière" alors que l'auteur était au petit séminaire avec un gaçon plus âgé que lui qui, en tant que "philosophe", avait droit à entretenir ce type de relation avec un protégé... et c'est bien cela qui m'intéresse: voici dans un cadre formel la possibilité d'une relation instituée. Jusque là, j'en étais à ces moines de la Thébaïde qui "habitaient la même cellule", mais là c'est tout près - chez les franciscains en Amérique du Sud au début du XXème siècle. Pour l'histoire, l'auteur, alors âgé de 14 ans, propose à son ami "philosophe" de sortir du cadre pour vivre leur amour mais celui-ci à un autre plan, resté à l'intérieur et poursuivre leur relation. Finalement, quelques années plus tard, l'auteur sortira bien, seul, et ce n'est qu'après sa mort, qu'il apprendra que son ami l'a suivi hors de l'ordre beaucoup plus tard...


Sur ce, je commande ces Lettres à un ami prêtre qui m'avait intrigué. Passionant, je lis en une nuit, les lettres d'abord, la préface ensuite. Et je trouve, entre autres, ... la genèse de "Mon Dieu, je ne vous aime pas". Magnifique! Du coup je me replonge dans l'essai de Benoît Lobet et dans Marie Noël par la même occasion qui traine sur l'étagère de la chambre à portée de main.

Marie Noël, c'est une langue magnifique, joyeuse et langoureuse à la fois. Et puis ce sont ces Notes intimes dans lesquelles se font jour la nuit de l'âme, les doutes de cette femme qui interpelle Dieu, du fond de sa nuit, de son "abîme", comme l'appelle Benoît Lobet. Et Benoît raconte, sa propre nuit, ses propres questions, au séminaire d'abord ou il découvrit Marie Noël et dans sa vie de prêtre ensuite devant la mort, l'amour, la maladie. Les années sida aussi, avec son lot de solidarités bouleversantes et devant lesquelles se taisent les langues méchantes. Tout cela éclaire des pans de ma vie. Me réconcilie avec moi-même et avec Dieu - je n'ose écrire et avec l'Eglise, mais si bien sûr, celle de mes frères, cette assemblée de pécheurs. Benoît est prof de morale dans un institut supérieur de théologie.. je vais essayer de voir comment il tourne cette expérience spirituelle en théologie, cela pourrait s'avérer intéressant.

lundi 2 mai 2005

Deux frères vivaient dans la même cellule...

Deux frères vivaient dans la même cellule depuis de nombreuses années en parfaite concorde. Un jour l'un d'eux dit:
- Si nous nous disputions un peu comme tout le monde?
- Mais je ne sais pas comment on fait pour se disputer... répondit l'autre.
- Voici: je mets une brique entre toi et moi, puis je dis: "elle est à moi". Et toi tu réponds: "Non; elle n'est pas à toi, elle est à moi." Les querelles commencent toujours ainsi.
Ils mirent donc une brique entre eux et le premier dit:
- Elle est à moi.
Mais le second réplique:
- Si elle est à toi, prends-la et va-t-en en paix.
Et ils ne réussirent pas à se disputer...
(Bons mots & facéties des Pères du désert, p. 45)

Deux frères vivaient dans la même cellule depuis de nombreuses années... C'est donc que c'était possible ... sans que le préfet du conseil pontifical pour la famille intervienne...