jeudi 23 novembre 2006

Durant trois semaines je n'ai pas bien dormi.


Visite de Z. hier soir. Nous parlons longuement des « Bienveillantes » que je viens de terminer.

Je lui dis que d’un côté, c’est un roman qui permet, pour un historien travaillant pour une part sur cette période, de passer du savoir à la connaissance sur un certain nombre de points. Par exemple la diversité des têtes du régime nazi et leurs rivalités, sanglantes parfois, ou encore, pour les juifs de Hongrie, les marches forcées vers l’Autriche. Les critiques soulignent généralement "l'oeuvre" des Einzatsgruppen sur le front de l'Est. J'avais déjà éprouvé cela avec le film de Spielberg La liste de Schindler. Il y a un côté concrêt des choses que la fiction parvient à vous faire saisir alors que les descriptions historiques les meilleurs y peinent bien souvent - mais ce n'est pas leur rôle principal. Ceci dit, j'ai ressenti un profond malaise et notamment devant le fait que le « héros » soit un homosexuel pervers.

Non seulement, contrairement à ce que le héros/narrateur soutient au début, que finalement cela aurait pu être vous ou moi, il n’est pas du tout comme tout le monde: homosexuel ayant eu une relation incestueuse avec sa sœur de laquelle sont peut être nés une paire de jumeaux et il a probablement assassiné sa mère et son beau-père, rien de moins. Ainsi comme dans la deuxième version des Invasions Barbares, pour que cela se vende, ou plus poliment dit, pour que le lecteur puisse supporter le récit il faut qu’il puisse s’identifier au héros tout en différant de lui suffisamment. Ainsi dans ce film comme dans tant d'autres le héros est-il immensément riche. On traite d'un thème qui touche tout un chacun, la mort du père, mais on n'est pas n'importe qui. Mais que ce passe-t-il dans Les Bienveillantes lorsque par un bout – l’homosexualité – je me retrouve lecteur s’identifiant un peu plus que le commun ?


Z. me dit que c’est connu que les régimes fascisant avaient une esthétique homo érotique et que c'est comme tout groupe, il y a des homos biens et des pervers. Certes, je le sais, mais c'est quelque chose que je vis mal. J’ai l’impression d’être souillé. Je vis en paix avec moi-même comme je suis, je suis heureux de me retrouver en famille comme lors du colloque interreligieux de la World Gay Pride de Jérusalem l'été dernier, mais j’ai beaucoup de mal dès que je me retrouve avec l’étiquette d’homosexuel. Est-ce la représentation publique de l'homosexualité que je vis mal? Est-ce le lien avec la perversité du au fait que l'Eglise catholique - mon Eglise - définisse les gestes d'amour que je peux exprimer comme "intrinsèquement mauvais, désordonnés"? N'est ce pas précisément cela la perversion? J'ai passé et repassé Juste une question d'amour, parce que c'était un film qui me faisait du bien, mais là, sur ce point c'est l'antithèse.

Sans doute n'est ce pas l'aspect principal de ce roman, mais malgré tout. Je ne peux pas dire que j'ai tout lu, l'avant dernière partie lorsque le héros se retrouve seul dans la maison de sa soeur en Poméranie - on entre dans une description folle de cette perversité intérieure et là, pour moi, c'était tout simplement trop.

J'ai vu revenir un de mes collègues anthropologues de l'ouverture des charniers bosniaques pour le compte du tribunal de La Haye. Sachant que Littell a eu des missions en Bosnie, en Tchétchénie, j'imagine qu'il a du approcher des choses semblables, sinon comment pourrait-il écrire ce qu'il écrit. Je conçois le lien entre la mort et la sexualité, me souvenant de mes années d'étudiant en médecine et du travail en service de réanimation et de ce que cela représente comme secousse au sortir de l'adolescence. Ceci dit, j'en reviens au titre que j'ai donné à ce post - j'ai mal dormi pendant trois semaines et je ne suis pas sûr que les insights que j'ai pu gagner dans la confrontation au passé nazi, que je crois par ailleurs fondamental, en vaillent la peine.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je découvre ton site et m'y arrête.. et le marque meme en fav..pour tout dire...
Quand aux "bienveillantes" ..je ne l'ai pas encore oté de chez monsieur le libraire...pour tout dire comme toi cela me gène cette espèce de grandiloquence sur un sujet ou l'on le sait aucune modération n'est possible et ou tous les soubresauts seront ressentis par un malaise..effectivement la vision du "héros" de l'auteur n'entre pas dans la banalité... ensuite le fait de dire que la religion nous voit par notre mode de vie comme "intrinsèquement mauvais, désordonnés" est malheureusement une réalité... qu'il nous faut savoir gérer en communiant à notre façon si l'on est croyant...

Lev a dit…

Bonjour et bienvenue Lance...
à te lire
Lev

Anonyme a dit…

bonjour,
j'ai eu du mal à terminer "Les Bienveillantes". Je l'ai commencé avec l'impression que j'avais en main un chef d'oeuvre. Je l'ai terminé avec la sensation d'avoir participer à un gros bleuf. Certes intéressant si on ne connais rien au sujet. Le style passablement froid et qui finit par vous donner froid. Au final un peu déçu. En ce qui concerne l'homosexualité de l'anti-héros cela ne m'a pas dérangé. A vrai dire ça ne m'a pas posé question.

En ce moment je lis Paul Auster - beaucoup plus réjouissant.